Le Venezuela
- John Belvedere
- Feb 19, 2024
- 4 min read
C’est déjà le 19 février. Pour moi, c’est le symbole du plus creux de l’hiver. L’attrait d’une escapade dans le sud vers des climats plus chauds n’a jamais été aussi fort qu’aujourd’hui. J’ai d’ailleurs eu la chance de faire ma part d’escapades hivernales. Parmi les plus mémorables, je citerai les cinq années consécutives où j’ai passé une partie de l’hiver au Venezuela, dans les années 1980, alors que j’avais une vingtaine d’années. J’y ai beaucoup appris sur moi-même et sur la communauté.

Jusqu’alors, l’hiver était pour moi synonyme de travail, travail, travail. J’avais passé une bonne partie de mes hivers à travailler pour l’entreprise de déneigement de ma famille. J’étais responsable de la supervision de 45 personnes et du déneigement de plus de 100 stationnements. Je travaillais jusqu’à 18 heures par jour. Un jour, j’ai réalisé que j’avais besoin de vacances! J’ai réservé un voyage de deux semaines à Puerto La Cruz, au Venezuela, avec ma petite amie de l’époque, Sylvie. Là-bas, nous avons rencontré une femme de Québec qui nous a parlé d’un petit village de pêcheurs tout proche, Puerto Piritu. Nous y sommes allés et l’endroit nous a beaucoup plu, au point que nous avons réservé un condo à Puerto Piritu pour l’hiver suivant, pour 350$ US par mois.

De retour à Montréal, j’ai commencé à planifier mes vacances de l’hiver suivant et je savais que je voulais rester plus longtemps au Venezuela. J’ai décidé de comprimer mon année de travail en trois saisons. Du printemps à l’automne, j’ai travaillé dans l’aménagement paysager et j’ai tenu un kiosque de fruits et légumes avec Sylvie au Marché de l’Ouest. À l’automne, à ce même kiosque, nous vendions des citrouilles pour Halloween, puis des sapins de Noël vers la fin novembre.

Le Venezuela est un pays magnifique et, dans les années 1980, il s’est ouvert au tourisme. Puerto Piritu était encore relativement peu développé. Il n’y avait pas de stations balnéaires ni d’activités structurées pour les touristes. C’était une ville tranquille où il n’y avait pas encore d’internet, et évidemment pas de téléphones intelligents. Récemment, quelqu’un m’a demandé ce que je faisais pour le temps. Ce dont je me souviens le plus, c’est d’avoir exploré la région, de m’être promené et d’avoir bavardé avec les habitants. J’ai rapidement appris l’espagnol, ce qui m’a permis de me faire plusieurs amis et connaissances en ville. Je me souviendrai toujours quand le chef de la police nous a invités à souper! J’ai travaillé bénévolement comme guide touristique en français pour les Québécois qui visitaient une plantation de café locale. Nous avons également aidé les restaurants locaux à traduire leurs menus en français.

À la fin des années 1980, la situation politique du Venezuela a commencé à se dégrader. Le Venezuela est un pays pétrolier et les prix du pétrole ont chuté à cette époque. L’économie a souffert, entraînant des coupes dans les services publics et un mécontentement politique. Le gouvernement a réprimé l’opposition politique. Un jour d’hiver, alors que je me trouvais là-bas, un couvre-feu a été imposé à 16 h 30. Je n’étais pas inquiet pour autant. Au fil du temps, je m’étais fait beaucoup d’amis et ils m’avaient dit qu’ils s’occuperaient de nous.
Avec le recul, je me rends compte que ces promenades et ces bavardages ont été utiles. Ce n’était pas quelque chose d’artificiel. Cela m’est venu naturellement. C’était, comme nous pourrions le dire aujourd’hui, tisser des liens. À la base de tout cela, je pense qu’il y avait mon sens de la curiosité pour les gens et la communauté, quelque chose que j’ai toujours. C’est quelque chose qui m’a aidé tout au long de ma vie, y compris lorsque j’étais maire de Pointe-Claire de 2017 à 2021. J’aime à penser que je suis ce qu’on appelle en français un « rassembleur ».

Les habitants de Puerto Piritu n’avaient pas beaucoup d’argent à l’époque, malgré la grande richesse potentielle du pays en pétrole. Mais ils étaient heureux, satisfaits, amicaux et accueillants. La capitale, Caracas, était toujours dangereuse, mais si vous restiez discret, prévenant et que vous vous occupiez de vos affaires, tout allait bien.
Je suis retourné au Venezuela avec ma femme Sandra en 1997, mais l’humeur au pays avait changé. Nous avons apprécié notre séjour, mais j’ai remarqué que l’enthousiasme, la magie et l’état d’esprit des habitants du pays avaient radicalement changé. Ils ne faisaient que survivre. Après une tentative de coup d’État ratée en 1992, le populiste socialiste anti-occidental Hugo Chavez a été élu en 1999. Chavez est mort en 2013 et a été remplacé par Nicholas Maduro, qui est toujours président aujourd’hui. Selon l’organisme Human Rights Watch, plus de 20 000 personnes ont été tuées dans des assassinats extrajudiciaires sous le mandat de Maduro. Depuis 2015, plus de 8 millions de personnes ont fui le pays, ce qui constitue l’une des plus grandes migrations humaines de ce siècle.
Lors de journées paisibles comme aujourd’hui, je me demande combien de ces personnes heureuses, satisfaites, amicales et accueillantes que j’ai rencontrées à Puerto Piritu dans les années 1980 y vivent encore. Ces hivers de détente au soleil, où je pouvais pratiquer mon espagnol, rencontrer des gens et découvrir leur culture, me manquent. Sandra et moi pourrons peut-être un jour retourner à Puerto Piritu, je l’espère.

תגובות